mercredi 15 octobre 2008

Reproduire le système à la maison

« Quelle portion de notre éducation est véritablement constructive, réellement consentie? Le travail manuel est trop souvent réduit à la confection de quelques objets fabriqués sous l’œil d’un expert. Même le système Montessori, reconnu comme un système d’enseignement imaginatif dirigé, n’est qu’un moyen artificiel de faire apprendre à l’enfant par l’activité. Je ne vois là rien d’imaginatif.

À la maison, on force constamment l’enfant à apprendre quelque chose. Dans presque tous les foyers, il y a toujours un adulte sans maturité d’esprit qui se précipite pour montrer à Tommy comment fonctionne son nouveau train électrique. Il y a toujours quelqu’un qui met bébé sur sa chaise quand il veut examiner quelque chose sur le mur. Chaque fois qu’on montre à Tommy comment marche son train électrique, on lui vole sa joie de vivre—la joie de la découverte—,la joie de vaincre l’obstacle. Bien pis, on l’amène à croire qu’il est inférieur et dépendant d’une aide extérieure.

Les parents sont lents à comprendre que l’enseignement donné à l’école ( ou dans leur école à la maison ) n’a vraiment aucune importance. Les enfants, comme les adultes n’apprennent que ce qu’ils veulent. Tous les prix, toutes les notes, tous les examens ne font que dévier le développement naturel de la personnalité. Seuls les pédants prétendent que l’on s’instruit dans les livres.

Les livres sont ce qui compte le moins à l’école ( ou dans nos écoles à la maison). Tout ce dont un enfant a besoin, c'est de savoir lire, écrire et compter; pour le reste, des outils, de la pâte à modeler, des sports, du théâtre, de la peinture et de la liberté suffiraient.

La majeure partie du travail de classe effectué par les adolescents n’est qu’une perte de temps, d’énergie et de patience. Il vole à la jeunesse son droit à jouer, à jouer encore et à jouer encore plus; il met de vieilles têtes sur de jeunes épaules.

Au cours de mes conférences dans les Écoles normales, je suis souvent ahuri par la manque de maturité de ces filles et ces garçons pleins de savoir inutile. Ah! ils en savent des choses. Ils brillent dans la dialectique, ils citent les classiques—mais dans leur perspective sur la vie, beaucoup d’entre eux sont des nouveau-nés. Tout cela parce qu’on leur a appris à savoir mais qu’on ne leur a pas permis de ressentir. Ces jeunes gens sont aimables, plaisants, passionnés, mais quelque chose leur manque – le facteur émotif, le pouvoir de subordonner la pensée au sentiment. Je leur parle d'un monde qui leur a manqué et qui leur manquera toujours. Leurs livres d'étude ne traitent pas du caractère humain, de l'amour, de la liberté, de l'autodétermination. Et ainsi le système se perpétue qui ne cherche ses modèles que dans les livres et qui sépare la tête du coeur.

Il est temps de remettre en question la notion de travail telle qu'elle est conçue dans nos écoles (ou dans nos écoles maison ). C'est aujourd'hui un dogme que l'enfant doit apprendre les mathématiques, l'histoire, la géographie, un peu de sciences, un peu d'art et, évidemment, la littérature. Il est temps que nous réalisions que la moyenne des jeunes ne s'intéresse pas beaucoup à aucun de ces sujets.

Je ne dénigre pas l’étude. Mais elle devrait venir après le jeu. Et elle ne devrait jamais être assaisonnée de jeu pour la rendre plus agréable au goût.

Étudier est important – mais pas pour tout le monde. Nijinsky1 n'avait pas pu passer ses examens à Saint-Pétersbourg et il lui était impossible d'appartenir au Ballet National russe sans ces examens. D'après une biographie, le Ballet National lui prépara un examen fictif, lui remettant les réponses en même temps que les questions. Quelle perte ç'eut été pour le monde si Nijinsky avait réellement dû passer ses examens.

Les créateurs apprennent ce qu’ils veulent apprendre, afin d’avoir les outils que leur originalité et leur génie exigent. Nous n’avons aucune idée des créations qui sont tuées dans les salles de classes ( ou dans nos maisons) où l’on insiste sur la nécessité de l’étude.

[...]

Si un maître d'école (ou un parent) qui voit des enfants jouer avec de la boue cherche à rendre l'expérience plus excitante en faisant une dissertation sur l'érosion du sol, quelle fin poursuit-il ? Y a-t-il des enfants qui s'intéressent à l'érosion ?

De nombreux prétendus éducateurs ne se soucient pas tant de ce que l'enfant apprend que de ce qu'on lui enseigne. Et, naturellement, avec les écoles que nous avons – où l'on fabrique en série -, que peut faire un maître d'école, sinon enseigner quelque chose et se convaincre que l'enseignement en lui-même est ce qui importe le plus ?

[...]

[...] Je ne raconte pas cela avec arrogance mais avec tristesse, afin de montrer à quel point les murs des salles de classe et les prisons que sont nos bâtiments scolaires réduisent la perspective de l'enseignant et l'empêchent de voir ce qui est essentiel dans l'éducation. Son travail ne concerne que cette partie de l'enfant qui est située au-dessus du cou et, forcément, la partie émotive et vitale chez l'enfant est pour lui un territoire étranger.

Je voudrais voir une plus grande rébellion chez les jeunes enseignants (et chez les parents) . Ni les études poussées, ni les diplômes universitaires ne pèsent dans la balance quand il faut faire face aux maux de la société. Un névrosé savant n’est en rien différent d’un névrosé moins savant.

Dans tous les pays, qu'ils soient capitalistes, socialistes ou communistes, des écoles sont bâties pour éduquer les jeunes. Mais les laboratoires et les ateliers rutilants n'aideront pas John, Pierre ou Ivan à surmonter les troubles émotifs et les maux sociaux entretenus par la pression qu'exercent sur eux leurs parents et leurs maîtres, aussi bien que la pression coercitive de notre civilisation. »

Bonne réflexion

Savane

Extrait de : « libres enfants de summerhill » , Alexander S.Neill, ISBN 978-2-7071-4216-0

NOTE: Les parenthèses en bleu sont de LEMAQ


1Vaslav Fomitch Nijinski, 1889-1950 -Danseur et chorégraphe russe d'origine polonaise.