mardi 25 mars 2008

L'école prend la place des parents

Voici le témoignage d'une ex-enseignante Française qui est fort intéressant et inspirant. Nous le publions ici car cet écrit rejoint exactement tout ce qui nous tient à coeur, tout ce en quoi nous croyons à LEMAQ. Nos remerciements à cette grande dame pour la générosité dont elle a fait preuve en offrant gratuitement son témoignage sur Internet avec permission de le reproduire.

Heïdi

P.S. J'ai choisi, comme titre de publication, le titre d'un paragraphe que j'aime particulièrement.

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Aller à l’école ? Autonomie et éducation / instruction
Témoignage issu de la rencontre AMP en août 2006 dans le Limousin

Décollage
Je suis donc S. (50ans), la mère de P. (19 ans) et A. (16,5), instit de profession et en disponibilité pour convenances personnelles.

Quelques mots sur mon parcours professionnel :
j’ai toujours beaucoup aimé mon boulot : et le partage des connaissances, et le fait que j’avais affaire à des personnes, et la liberté théorique que nous avons pour enseigner. Bien sûr, on peut toujours tomber sur des inspecteurs-trices qui nous démolissent, mais je suis quand même plusieurs fois tombée sur des supérieurs qui ne rejetaient pas mes démarches et questionnements en bloc... C’est aussi un travail où on peut changer de poste. Je me suis intéressée aux pédagogies « alternatives » (Freinet, Montessori, ...) et j’ai plutôt choisi des postes pas trop « classiques », maternelle, classe de transitions, remplacements...

La famille – l’école :
Le vrai choc pour moi a été de découvrir que la famille est beaucoup, beaucoup plus importante que l’école. J’ai découvert ça quand mes filles ont été scolarisées ; malgré des choses qui pouvaient être considérées comme des handicaps (je les ai élevées seule, nous n’avons jamais eu la télé, nous avions peu d’argent...), mes filles réussissaient bien à l’école ; je découvrais en même temps dans mon travail combien un peu d’attention pouvait aider les élèves en difficultés. Puis j’ai eu des ennuis avec l’administration de l’éducation nationale, et j’ai été suffisamment choquée pour décider de m’arrêter de travailler. A ce moment, j’ai rencontré une compagnie de théâtre itinérante dont le couple dirigeant cherchait quelqu’un comme moi pour suivre la scolarité de leurs enfants en tournée ; ayant vu de près le collège avec ma fille aînée, je me suis décidée à tenter l’aventure, d’autant que je ne me voyais plus enseigner dans la région où j’étais. Nous sommes donc parties en tournée, et j’ai tâché d’organiser l’ « école » pour « mes » 4 élèves du mieux que je pouvais, compte tenu de mes expériences passées. Petit à petit m’est apparu un fait incontournable : le seul impératif de n’importe quel apprentissage est la motivation personnelle, impossible à allier à une obligation scolaire ; j’ai donc eu de moins en moins d’exigences scolaires, et à la fin j’ai préféré arrêter ce travail dans lequel je me sentais en porte-à-faux avec mes convictions. La rencontre avec des gens de LEDA (*) m’a aidée à y voir clair, et il me semble maintenant que toute ma carrière d’instit a trouvé son aboutissement naturel dans la non-scolarisation (« non-sco », ou « école à la maison », ou « instruction parentale »).

(*) LEDA, association « Les Enfants D’Abord », l’une des 3 associations françaises qui regroupe les parents ayant fait le choix de l’instruction parentale pour leurs enfants ; d’autres parents qui ont fait ce choix se rattachent au mouvement « Montessori », d’autres encore le font pour des raisons confessionnelles, ces parents ne font pas forcément partie d’associations.
J’ai maintenant quelques certitudes (?) et pas mal de questions que j’expose ci-après : tout ça n’est ni très construit, ni très abouti, j’en ai bien conscience. Mais je ne suis pas sûre que le construit et l’abouti soient toujours tellement bien, ou mieux, d’autant plus que, bien sûr, ces réflexions sont appuyées sur mon propre fonctionnement, et nous ne fonctionnons pas tous pareils (heureusement ! mais on ne peut pas dire que notre système scolaire en tienne compte...). Je voudrai insister sur un constat qui me semble important, à savoir que mes réflexions prennent racine dans mon vécu, très profondément, d‘une façon dont je n’ai pas vraiment conscience, et que ceci doit être valable pour chacun-e ; il me semble que souvent les gens qui affirment des « vérités » occultent ce fait. En particulier, mes réflexions sont très influencées par le fait que je vis plus proche de la nature que bien d’autres personnes.

La non-sco est d’abord pour moi un choix politique
au sens large du terme, l’école étant à l’évidence un pilier de la société dans laquelle nous vivons. Je suis résolument contre le système scolaire parce qu’il est profondément lié, qu’on en ait conscience ou non, à la société dans laquelle nous vivons et qui est si loin de tout ce qu’on pourrait en attendre et de tout ce qu’on croit à son sujet. Le principal problème est la hauteur de notre niveau de vie qui n’est possible que par l’exploitation de nombreux autres pays, et ceci est inacceptable, sans oublier les mensonges dans lesquels nous baignons, dont nous avons plus ou moins conscience et qui nous permettent de vivre dans nos sociétés « riches ». On peut aussi refuser notre mode de vie parce qu’il détruit notre environnement, et donc notre futur. Ivan Illich a dit tout ça bien plus tôt et bien mieux que moi.

J’explicite ci-après quelques conséquences des structures de notre système scolaire.

L’obligation scolaire :

je suppose qu’on peut la comprendre par l’histoire ; je pense à toutes ces personnes qui ont acquis des connaissances scolaires en même temps qu’elles travaillaient, et bien sûr elles ne pouvaient rien imaginer de mieux que de permettre à leurs enfants d’apprendre en ayant que ça à faire. Mais le moins qu’on puisse dire est que les résultats ne sont pas du tout à la hauteur des attentes.

  • cette obligation scolaire a amenée des structures matérielles très lourdes (les établissements scolaires), du moins dans nos pays riches (ce doit être une des bases de l’humain d’essayer de donner le meilleur à ses enfants). Mais je me demande aussi dans quelle mesure cette accumulation de matériel ne remplace (justifie ?) pas la pauvreté de l’être, en bon reflet de notre société si matérialiste… Ceci vaut aussi à mon sens pour toutes les écoles parallèles.
  • quand on y réfléchit un peu, on trouve que c’est absurde d’être obligé d’apprendre : mais ce point est très difficile à discuter, parce qu’il correspond en fait à des convictions intérieures, je ne vois pas comment quelqu’un pourrait prouver ou infirmer que l’obligation est une condition sine qua non de tout apprentissage ; mais par contre, ce qui est sûr, c’est que cette obligation n’est pas sans conséquences.
  • et la conséquence la plus grave à mes yeux, c’est cette certitude que nous sommes si nombreux à avoir que, pour apprendre, il faut un mentor, qui dise quoi apprendre, comment apprendre, quand apprendre et où apprendre ; ça fait beaucoup de diktats, non ? et en plus, ça enlève toute motivation personnelle des enseigné-e-s ; en d’autres termes, on apprend comme on consomme (on apprend à consommer ??). Et, que pour toute chose importante, le mieux, c’est de faire confiance à des « spécialistes »... Ça empêche aussi toute connaissance de soi, de « comment je fonctionne, comment je progresse, ce que j’aime ce que je n’aime pas, comment je me situe par rapport aux autres, par rapport au monde, ... ».

L’ « artificialité » de l’école
le fait que l’école soit tout à fait un espace-temps à part : C’est d’ailleurs peut être une des caractéristiques de nos sociétés « riches en biens matériels », ces multiples divisions.

La répartition en classe d’âge:
d’une part, ce critère très artificiel ne permet pas grand-chose d’autre au niveau relationnel que la compétition, d’autre part il nous fait trouver normal le découpage social en groupe d’âge…quelle pauvreté…et quelle malédiction le « jeunisme » en vogue : pour les jeunes, vu que dès que tu en as conscience, tu trouves plus jeune que toi, et pour les vieux qui doivent passer leur temps à faire semblant d’être jeunes, sans même pouvoir utiliser leurs acquis... Je pense aussi que cette organisation pousse à l’individualisme : joint au matérialisme, je me dis que ce n’est pas étonnant qu’on n’arrive pas à résoudre les problèmes écologiques majeurs qui sont justes devant nous.

Les connaissances découpées en matières :
on retrouve la soumission aux spécialistes : qui leur apprendra que le tout n’est pas la somme des parties ?? Comment pourraient-ils-elles avoir une vision globale des choses ??? Ça donne des absurdités, comme l’acharnement thérapeutique, ou les OGM, quand les chercheurs-euses ne comprennent pas pourquoi les essais en plein champ ne donnent pas les mêmes résultats qu’en laboratoire...

La prééminence des matières intellectuelles sur les manuelles :
Et maintenant, on est étonné de constater que la nature a des limites, qu’on ne peut pas consommer autant qu’on le « voudrait » (?), et que la pollution nous rend malade... On n’a plus non plus tellement idée de la complexité des systèmes vivants... Je pense au « slogan » : « 80 % d’une classe d’âge au bac » !! Ça n’a tout simplement pas de sens... Il n’y a que des gens qui ne sont jamais sortis du système scolaire qui peuvent penser que ça donnerait une société idéale ; ils n’imaginent même pas le nombre de gens qui, contrairement à eux-elles, se réalisent en travaillant manuellement... Et ce « slogan » absurde pose le bac comme un but dans la vie !!

Le système d’évaluation :
je ne vois pas comment on peut reprocher aux enseigné-e-s de ne pas se passionner pour les notes... Et encore, ils-elles sont si bonne pâte qu’ils-elles y croient quand ils-elles sont petit-e-s, ils-elles croient ce qu’on leur dit... C’est vraiment quelque chose que j’ai du mal à comprendre : rien, selon moi, ne peut remplacer le plaisir de l’apprentissage, je ne dis même pas le plaisir de la réussite, parce que quelle que soit la chose qu’on fasse, on se rend quand même vite compte que plus on pratique, plus c’est facile et mieux fait, et aussi que le soin apporté à ce qu’on fait améliore toujours...

L’état d’assistanat des enseignés, des jeunes :
je suis aussi très questionnée par l’état d’assistanat dans lequel sont maintenus les enfants et ados dans nos sociétés riches ; d’une part je ne vois pas en quoi le « travail » est dégradant, ou mauvais, et d’autre part il me semble que le travail justement est plutôt enrichissant, et bien sûr pas seulement en argent ; je ne parle pas que du travail rémunéré, mais des travaux quotidiens, de la cuisine à la vaisselle en passant par les réparations mécaniques ou la menuiserie (remarque, je suis aussi impressionnée par notre dépendance à nous les adultes à tous les objets que nous utilisons au quotidien)... En même temps, il me semble que j’ai souvent trop travaillé (une angoisse du futur due à ma situation de mère célibataire... mais aussi classique de notre société dans laquelle plus on a, plus il faut protéger ce qu’on a, l’entretenir...), mais quand même, je ne peux pas m’empêcher de voir dans la diversité des expériences de travail un enrichissement.

Les professeur-e-s : de nouveau des spécialistes...
peut être que je suis bizarre, mais franchement, apprendre à quelqu’un-e quelque chose que tu sais, ce n’est pas intéressant ; ce qui est passionnant, c’est le partage. Peut-être que je me trompe, mais je pense que les profs qui aiment leur boulot travaillent avec les élèves avant de travailler avec la matière qu’ils-elles enseignent. Et c’est vrai que c’est tout à fait passionnant de se sentir aux côtés des élèves. Mais on ne peut pas dire que la structure favorise ce genre de façons de faire, c’est plutôt le contraire !

Personnellement, j’ai plutôt l’impression que les profs se font avoir comme les élèves par le système, mais il est souvent trop tard pour changer quand on s’en aperçoit. En plus, la grande majorité des enseignant-e-s sont complètement déconnecté-e-s de la société des actifs, ils-elles sont vraiment à part. Personnellement, je n’ai jamais osé penser que j’apprenais des choses à mes élèves : je savais simplement que je mettais à leur disposition au mieux de ce que je pouvais des éléments susceptibles de les aider dans leurs apprentissages ; je ne vois pas comment on peut « apprendre quelque chose à quelqu’un-e » ; il me semble bien plus juste de simplement s’émerveiller devant les apprentissages, les siens et ceux des autres, s’émerveiller devant toute cette complexité mise en jeu dans le temps, l’espace, avec d’autres et/ou seul-e...

L’école prend la place des parents :
il suffit d’observer un enfant en train d’apprendre à marcher, ou à parler, pour s’apercevoir qu’il-elle n’a qu’une envie, progresser et imiter ses parents ; et rien ne peut remplacer, ni la responsabilité des parents dans le devenir des enfants, ni l’amour qu’ils lui portent. Une des blagues qui circulent dans LEDA dit que quand l’Etat se chargera d’apprendre à marcher aux enfants, on découvrira que 10 % d’entre eux sont « dysjambiques », puis on trouvera les « dyspiediques », puis les « dyschevilliques » ...

De plus, se charger volontairement de l’instruction de ses enfants, en plus de leur éducation (comme c’est encore plus ou moins normal dans nos sociétés) peut permettre à chaque parent d’être plus clair sur ses priorités : confier ses enfants la majeure partie du temps à une institution permet à l’évidence d’avoir du temps pour soi, temps que la majorité des parents consacre au travail rémunéré, course sans fin à l’avoir et à la consommation, qui nous mène droit dans le mur (il me semble que l’une des constantes de nos sociétés « riches en biens matériels » est le fait que les riches deviennent plus riches, et les pauvres plus nombreux... ne travaillons-nous tous et toutes que pour ce résultat Dans l’institution scolaire, il me semble qu’on peut voir une « rentabilisation économique » de l’ « élevage des petits humains ».

Il est aussi évident que le souci constant de ses enfants peut donner l’occasion de réfléchir à son travail, à son rythme de vie, plus à l’écoute de soi en particulier ; de même, être les personnes référents de ses enfants, qu’ils-elles voient au quotidien, donne une autre dimension à ce quotidien. Il me semble d’ailleurs que les catastrophes écologiques qui sont justes devant nous ne sont sans doute pas étrangères à cette séparation enfants-parents, les parents pensant faire au mieux en déléguant l’instruction de leurs enfants (avec la tentation de déléguer aussi leur éducation d’ailleurs), même leur futur...

Le consensus généralisé pour imposer nos systèmes scolaires aux pays dits « pauvres » :
sauf que nos systèmes scolaires développent des sociétés qui n’ont aucun avenir, moralement, économiquement et écologiquement soutenable, nous savons tous et toutes que nous ne pouvons continuer comme ça, sans parler des problèmes humains de nos sociétés. Il ne faut pas réfléchir longtemps pour savoir qu’il est impossible que tous les habitants de la terre aient notre niveau de vie (celui-ci nous apporte-t-il le bonheur d’ailleurs ?) : nous consommons 2 planètes de matières premières, nous polluons la terre entière, nous vivons, nous Français en particulier, en partie sur nos exportations d’armes (la France, 3ème producteur d’armes au monde...), bref, nous rendons la terre invivable, matériellement parlant... mais nous continuons vaillamment à maintenir notre niveau de vie et à considérer qu’il est le seul valable !!! Et nous calmons nos consciences en donnant de l’argent pour que les enfants des pays dits « pauvres » aillent à l’école, en évitant toujours de prendre conscience que leur pauvreté économique est étroitement liée à notre richesse... et nos poubelles continuent à déborder... Nous avons énormément de connaissances d’un certain type, autant que de déchets sans doute, mais nous n’avons aucune idée de ce à côté de quoi notre civilisation écrite nous fait passer ; je ne vois pas en quoi une civilisation orale serait moins « bien » qu’une civilisation écrite, à part le fait que nos civilisations écrites se sont trouvées tellement supérieures aux autres qu’elles sont en train de les exterminer...

L’argument qui énonce qu’il faut que les pays dits pauvres aient accès à l’instruction pour pouvoir lutter à « armes égales » avec les pays dits riches ne souligne que notre croyance en notre système de développement, pendant même que nous constatons tous les jours sa faillite... Il me semble qu’au contraire on devrait se dépêcher d’apprendre d’eux ces autres façons de vivre qui rendent possible l’avenir... A mon avis, les pays dits pauvres s’en sortiront quand nous cesserons de les piller (et nous faisons même des guerres pour ça...) et de maintenir en place leurs dictateurs.

Quant aux enfants des classes défavorisées de nos pays « riches en biens matériels », que leur reste-t-il quand ils-elles ont acquis la certitude que non seulement leurs parents sont défavorisés, mais qu’en plus ils-elles n’ont quasi aucune chance de s’élever dans l’échelle sociale ? Il leur reste la violence...

Beaucoup de personnes défendent avec acharnement et constance des idées et des réalisations pour réformer l’école : comment se fait-il que ces personnes ne peuvent voir que l’argent qui dirige le monde ne permettra jamais à aucune école de former des citoyens libres et responsables ????? (cf les expériences d’ « écoles différentes » qui durent depuis 20 ans...)

NB: à l’attention des parents et futurs parents qui ont lu ce texte
Puisque vous avez lu ce texte, vous êtes dans les privilégiés de notre société (elle-même privilégiée... enfin, bourrée jusqu’à la gueule de biens matériels...) ; certainement quelques un-e-s de vos enfants souffriront à l’école, mais certainement aussi vos enfants « s’en sortiront » globalement ; l’école ne permet qu’à quelques rares enfants de s’élever dans l’échelle sociale, la grande majorité des « enfants de parents défavorisés » souffrent vraiment et longtemps pour bien se mettre dans la tête qu’ils-elles ne « s’en sortiront » pas ; et les enfants des privilégiés apprennent que, quoi qu’il se passe pour eux à l’école, ils-elles s’en sortiront ; à chaque parent de faire son choix : donner à sa propre descendance les moyens de se maintenir parmi les privilégiés (en se fermant les yeux sur les coûts réels de ce maintien)... ou essayer autre chose.

Ci-après, l’ « avertissement », puis le début du premier chapitre qui constitue le prologue du livre

« Libérer l’avenir » d’Ivan Illich
recueil de textes publié en 1970... (j’ai lu en diagonale plusieurs de textes d’Illich quand j’étais jeune, et je regrette profondément maintenant de ne pas y avoir prêté plus d’attention ... mes expériences m’ont amené à faire les mêmes constats que lui (sauf sur l’instruction parentale, en partie je pense parce qu’il n’a pas eu d’enfant) mais il me semble que la terre n’a plus de temps à nous accorder pour que nous fassions chacun-e nos expériences...)

"Dans chaque chapitre de cet ouvrage on retrouvera la marque d’un effort qui vise à remettre en question la nature d’une certitude. Chacun d’eux, par conséquent, entend dénoncer une supercherie qu’entretient l’une de nos institutions. Les institutions créent des certitudes, et dès qu’on les accepte, voilà le cœur apaisé, l’imagination enchaînée..."

Je vous appelle, nous sommes nombreux à vous appeler, certains que je ne connais pas et d’autres que je connais, nous vous appelons :

· à célébrer ce pouvoir que nous avons ensemble de subvenir aux besoins qu’ont tous les êtres humains de se nourrir, se vêtir, s’abriter afin qu’ils se réjouissent d’être en vie ;
· à découvrir, ensemble et avec nous, ce que nous devons faire pour mettre la puissance de l’homme au service de l’humanité, de la dignité et de la joie de chacun d’entre nous ;
· à être conscient et responsable de votre capacité personnelle d’exprimer vos sentiments véritables et de nous rassembler tous ensemble dans leur expression."

http://tomate.poivron.org/Aller_%C3%A0_l%27%C3%A9cole

mardi 11 mars 2008

"Mais comment apprendront-ils à lire?"

J'ignore où j'avais déniché cet extrait de "Professeur cherche élève ayant désir de changer le monde" de Daniel Quinn mais il y a plusieurs mois que je l'ai dans mes dossiers et je sais que je ne l'avais pas tapé moi-même. Alors je remercie publiquement la personne qui avait pris le temps de le retranscrire et de l'afficher.

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Ishmael hocha la tête.
"Durant les premières années d'enfance, votre système ne diffère pas du système tribal. Vous dialoguez tout simplement avec vos enfants pour votre agrément mutuel, et vous les laissez circuler dans presque toute la maison. Vous ne leur permettez pas de se pendre au lustre pour s'y balancer ni d'enfoncer des fourchettes dans les prises de courant, mais pour le reste, ils sont libres d'aller et venir à leur guise. A quatre ou cinq ans, les gosses veulent pousser plus loin leur exploration et ils ont en général accès au voisinage immédiat de la maison. Ils ont le droit de rendre visite à leurs petits voisins de palier ou d'étage. C'est un peu l'équivalent d'un cours de sciences sociales: à ce stade, les enfants commencent à se rendre compte que les familles ne sont pas toutes pareilles. Elles diffèrent par le nombre, le style, les façons de vivre. C'est alors que dans votre système, on envoie les enfants à l'école, où leurs mouvements sont contrôlés en permanence. Dans le système tribal, cela ne se produit pas; à six ou sept ans, les enfants commencent à avoir des centres d'intérêt divers, certains sont casaniers, d'autres plus aventureux..."

Je levai la main. "Comment font-ils pour apprendre à lire?"

- Julie, pendant des centaines de milliers d'années, les enfants ont réussi à apprendre ce qu'ils avaient envie et besoin d'apprendre. Ils n'ont pas changé.

- Oui, mais comment ils apprennent à lire?

- Comme ils ont appris à parler, en cotoyant des gens qui lisent. Je sais, on t'a poussée à te méfier de ce processus. On t'a enseigné qu'il vaut mieux laisser ça à des professionnels, mais ceux-ci ont un taux de réussite pour le moins discutable. Rappelle-toi que les gens de ta culture ont appris à lire pendant des milliers d'années sans que les professionnels se chargent de leur enseigner. Le fait est que des enfants qui grandissent dans un foyer où la lecture se pratique finissent par savoir lire.

- Oui, mais les gosses ne naissent pas tous dans une maison où on lit.

- Prenons par exemple un enfant qui naît et grandit dans un foyer où les parents sont complètement illettrés. Où ils ne savent même pas lire une recette de cuisine ou une facture d'électricité.

- D'accord.

- A quatre ans, l'enfant commence à élargir son cercle de relations. Allons-nous supposer que tous ses voisins sont eux-mêmes complètement illettrés? C'est aller un peu loin, mais admettons. A cinq ans, l'enfant agrandit encore son champ d'action. Il semble peu probable que tout son entourage soit illettré. L'enfant est environné et bombardé de messages écrits, intelligibles pour une bonne partie de ceux qui l'entourent, en particulier les enfants de son âge qui n'hésitent pas à se vanter auprès de lui. Il n'acquerra pas tout de suite un excellent niveau, mais à son âge, de toute façon, il serait encore à étudier l'alphabet s'il était à l'école. Immanquablement, il apprend ce qu'il lui faut, ce dont il a besoin, Julie. Je lui fais confiance. Je suis certain qu'il accomplira ce que des petits humains ont réalisé pendant des centaines de milliers d'années. Ce dont il a besoin maintenant, c'est de savoir faire les mêmes choses que ses camarades.

- Oui, ça paraît logique.

- A six ou sept ans, alors que le rayon d'action de l'enfant continue de s'élargir, il veut avoir un peu d'argent de poche, comme ses petits copains. Il n'a pas besoin d'aller en classe pour apprendre à compter et à distinguer les pièces de monnaie. Il assimilera l'addition et la soustraction tout naturellement, comme l'air qu'il respire, non parce qu'il est doué en mathématiques, mais parce qu'il en a besoin au fur et à mesure qu'il avance dans le monde et dans la vie.

Partout, les enfants sont fascinés par le travail que leurs parents font à l'extérieur de la maison. Dans notre nouveau système tribal, les parents comprendront qu'impliquer leurs enfants dans leur vie active est une alternative qui vaut mieux que de dépenser des milliards par an pour des écoles qui ne sont, en fait, que des centres de détention. Il ne s'agit pas de transformer les enfants en apprentis, loin de là, mais de leur donner accès à ce qu'ils ont envie de connaître, et tous les enfants ont envie de savoir à quoi s'occupent leurs parents quand ils sont absents. Une fois lâchés dans un bureau, les enfants se comportent comme à la maison, ils fouillent partout, ouvrent les tiroirs et jouent avec toutes les machines, depuis le tampon-encreur jusqu'à la photocopieuse en passant par l'ordinateur. Et s'ils ne savent pas encore lire, ils ne manqueront pas d'apprendre, parce qu'il n'y a pas grand-chose à faire dans un bureau quand on ne sait pas lire. Non qu'il faille empêcher les enfants de vous aider. A cet âge-là, ce qu'ils préfèrent par-dessus tout, c'est avoir l'impression qu'ils aident leur papa et leur maman. Cette fois encore, cet élan ne leur est pas inculqué, il est inscrit dans leurs gènes.

Dans les sociétés tribales, on trouve tout naturel que les enfants aient envie de travailler avec leurs aînés. Le milieu du travail et le milieu social ne font qu'un. Ce n'est pas pour cela qu'on les exploite. Ce genre de choses n'a pas cours là-bas. On n'attend pas des enfants qu'ils travaillent comme des ouvriers à la chaîne. Mais comment apprendraient-ils, sinon en faisant?

Quand ils ont épuisé les différentes possibilités d'apprendre et de s'amuser qu'offre le lieu de travail de leurs parents, et cela vient vite, surtout si les tâches s'y répètent inlassablement, ils tournent leur regard ailleurs. Aucun enfant ne trouvera longtemps passionnant d'empiler des boîtes de conserve dans une épicerie. Le reste du monde l'attend dehors. Supposons qu'aucune porte ne lui soit fermée. Imagine ce qu'un jeune de douze ans avec un fort penchant pour la musique pourrait acquérir dans un studio d'enregistrement. Ce qu'un garçon du même âge qui s'intéresse aux animaux apprendraient dans un zoo. Ce qu'un gosse attiré par la peinture découvrirait dans un atelier d'artiste. Et ce qu'un gamin de dix ans attiré par le monde du spectacle pourrait apprendre dans un cirque.

Les écoles ne seraient pas frappés d'interdiction, bien-sûr, mais celles qui attireraient les étudiants sont celles qui les attirent à l'heure actuelle, beaux-arts, musique, danse, sport, etc. Les études supérieurs, celles qui mènent à la recherche et aux professions libérales, intéresseraient les étudiants plus âgés. L'important, c'est qu'aucune de ces écoles ne se rapprocherait d'un centre de détention. Elles auraient pour vocation de dispenser aux étudiants les connaissances qu'ils veulent vraiment acquérir et dont ils espèrent se servir un jour.

On pourrait m'objecter qu'un tel système éducatif ne produirait pas des étudiants "accomplis". Mais cette objection témoigne encore du manque de confiance dont votre culture fait preuve envers vos enfants. Sous prétexte que tout serait libre d'accès dans le monde, les enfants ne s'accompliraient pas sur le plan éducatif? L'idée est absurde, je ne vois pas pourquoi il en serait ainsi. Il n'y aurait pas d'âge limite à 18 ou 21 ans, à quoi bon? En fait, rares sont ceux et celles qui aspireraient à l'idéal de la Renaissance, à mon avis. Si vos connaissances se bornent à un seul domaine et suffisent à vous contenter, quel que soit celui que vous avez choisi, chimie, menuiserie, informatique ou anthropologie, cela ne regarde que vous. A chaque génération, il se trouve des candidats pour toutes les spécialités existantes. Je n'ai jamais entendu parler d'une discipline qui ait disparu faute de postulants. Chaque génération engendre des passionnés qui brûlent d'étudier les langues mortes, sont fascinés par les effets de la maladie sur le corps ou veulent percer les secrets du comportement des rats. Et cela vaudrait aussi pour le système tribal.

Evidemment, avoir des enfants dans les jambes quand on travaille nuit à l'efficacité et à la productivité. Mieux vaut les parquer dans les centres éducatifs: c'est terrible pour eux, mais excellent pour les affaires. Et le système que je viens d'exposer ne s'implantera jamais chez ceux de ta culture tant que vous ferez passer les affaires avant les êtres.

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Professeur cherche élève ayant désir de sauver le monde
de Daniel Quinn (en anglais: My Ishmael)
ISBN-10: 2843370701
ISBN-13: 978-2843370700
Description: Voici les termes de l'annonce passée par Ishmael, le gorille philosophe capable de communiquer par télépathie. Mais c'est une petite Julie de 12 ans, "assez vieille pour voler des voitures et vendre du crack" qui y répond. Au début perplexe, Ishmael acceptera de la former et découvrira une élève curieuse et attentive, spontanée et impertinente. Il l'amènera à s'intéresser à bien des maux de nos sociétés actuelles : l'abaissement du niveau d'instruction des jeunes, l'accroissement de la délinquance et de la violence, les inégalités sociales, les sectes... Une réflexion sur notre modèle de civilisation et notre notion du progrès.

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Gaia écrit maintenant sur son blog personnel Apprentissage Infini