jeudi 22 février 2007

Ils apprennent tout le temps
par John Holt

Parmi tout ce que j’ai appris au sujet des enfants, en traînant avec eux des années et des années, en observant avec soin ce qu’ils font et en y réfléchissant : les enfants sont des apprentis nés.

Ce dont nous pouvons être sûrs, c’est qu’ils ont un désir passionné de comprendre autant qu’ils peuvent du monde, même ce qu’ils ne peuvent voir ni toucher, et tant qu’ils peuvent, d’acquérir des compétences et du pouvoir sur ce monde. D’ailleurs, ce désir, ce besoin de comprendre le monde et d’y agir, comme les grandes personnes, est si fort que nous pourrions à juste titre l’appeler biologique. Il est en tous points aussi fort que les besoins de nourriture, de chaleur, d’abri et de confort, de sommeil et d’amour. En fait, on pourrait soutenir qu’il est plus fort que tous ceux-ci.

Un enfant qui a faim, même un tout petit bébé qui ressent sa faim comme une réelle douleur, s’arrêtera de manger, de téter ou de boire si quelque chose d’intéressant arrive, parce que ce petit enfant veut voir ce qui se passe. Cette curiosité, ce désir de donner un sens à ce qui se passe, se tient au cœur de la sorte de créature que nous sommes.

Les enfants ne sont pas seulement extrêmement doués pour apprendre, ils le sont bien plus que nous. En tant que professeur, il m’a fallu longtemps pour comprendre cela.

J’étais un enseignant ingénieux, plein de ressources, habile à imaginer des plans de cours, des démonstrations, des dispositifs motivants et toute cette panoplie. Et seulement très lentement, et douloureusement – croyez-moi – j’ai vu ceci : à mesure que j’enseignais moins, les enfants se mettaient à apprendre plus. Je peux résumer en quelques mots ce que j’ai finalement conclu sur mon métier. La version longue est : «l’apprentissage n’est pas le produit de l’enseignement». L’autre est : «Enseigner ne fait pas apprendre». Je l’ai déjà dit, l’éducation organisée se base sur un postulat : les enfants apprennent seulement quand, parce que et ce que nous leur enseignons. Ceci n’est pas vrai, et c’est même presque faux à 100%. Ce sont les apprenants qui font l’apprentissage, ils le créent. Ceci a été oublié parce qu’on a transformé l’activité d’apprendre en un produit baptisé «Éducation». De même, la discipline de s’occuper de sa santé est devenu le produit des «Soins Médicaux». L’activité de s’enquérir du monde est devenu celui de la «Science», une spécialité pratiquée par des gens équipés d’appareils compliqués coûtant des milliards de dollars.

Mais la santé n’est pas un produit et la science, nous la pratiquons tous chaque jour de notre vie. En fait, le mot est synonyme d’apprentissage.

Que faisons-nous lorsque nous créons du savoir? Et bien, nous observons, nous regardons, écoutons, nous touchons, goûtons, sentons, manipulons, et parfois nous mesurons et calculons. Ensuite, nous nous demandons « pourquoi est-ce comme ceci?» ou « est-ce que ceci a fait arriver cela? » « pouvons-nous protéger nos haricots des charançons? » ou « pouvons-nous produire plus de fruits? », « …réparer la machine à laver? », etc... Ensuite, nous inventons des théories que les scientifiques appellent des hypothèses (…) et nous les vérifions.

Nous pouvons les vérifier simplement en demandant à ceux dont nous pensons qu’ils savent plus que nous, ou par des observations plus poussées. (…) Ce processus crée du savoir et nous le pratiquons tous. Ce n’est pas le domaine réservé de scientifiques ou d’universitaires reconnus. Nous le faisons, et c’est exactement ce que font les enfants aussi. Ils sont attelés à ce travail du lever au coucher. Quand ils ne sont pas en train de manger ou de dormir (et encore)*, ils créent du savoir. Ils observent, pensent, spéculent, théorisent, vérifient, expérimentent sans cesse, et ils sont bien meilleurs que nous pour ça.

L’idée même que nous pouvons enseigner aux petits enfants comment apprendre a fini par me sembler totalement absurde. (…)

Ce que nous pouvons faire de mieux pour les aider n’est pas de décider ce qu’ils devraient apprendre, et d’imaginer des moyens ingénieux de leur enseigner, mais de leur rendre le monde accessible autant que nous pouvons, de faire sérieusement attention à ce qu’ils font, de répondre à leurs questions s’ils en ont, et de les aider à explorer ce qui les intéresse le plus. Les façons de faire cela sont simples. Elles sont comprises facilement par les parents et ceux qui aiment les enfants et prennent la peine de tenir compte de ce qu’ils font et de réfléchir à ce que cela peut signifier.

En résumé : ce que nous devons savoir pour être capables d’aider les enfants à s’instruire n’est pas obscur, technique ou compliqué, et les matériaux que nous pouvons utiliser pour cela se trouvent autour de nous, à portée de nos mains.

(Les enfants d’abord, no 29, Automne 1997)
* commentaire de la traductrice

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Gaia écrit maintenant sur son blog personnel Apprentissage Infini

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