extrait de Éduquer avec son Coeur par Placide Gaboury
Editions de Mortagne, 1996
Tout enfant désire apprendre, veut connaître, cherche à découvrir. C’est ainsi qu’il est « monté » par la Vie. C’est sa nature. Il suffit de placer l’enfant dans son élément, c’est-à-dire dans ce qu’il aime et qui suscite sa curiosité, son désir d’en savoir plus, le reste se fera naturellement. Installez dans son élément un enfant attiré par la mécanique, par la musique, par l’étude des animaux ou de l’ordinateur et il passera des heures perdu dans cet univers de découvertes et d’énigmes. Nul besoin de l’inciter à « faire ses devoirs et leçons » - c’est sa curiosité, son désir d’apprendre qui s’en chargeront. Il en fera même plus qu’il n’en faut, comme le goût de connaître l’invite spontanément à le faire.
Pourquoi alors ne pas donner aux enfants, dès l’âge de 10 ans, le loisir d’étudier à fond une matière, une technique ou un métier qui les passionnent? Que l’enfant s’adonne à la musique, au démantèlement d’un moteur, à l’étude de la faune, qu’il se passionne pour les strates terrestres ou les dinosaures, pour le karaté, l’aéronautique, les plantes, la vie marine, la géographie in situ, qu’il soit vivement attiré par l’électronique ou l’électricité – peu importe vraiment puisque seul compte au début l’ivresse de découvrir et de connaître. C’est le processus qui importe surtout et non la matière utilisée, l’objet d’étude, l’amour plus que la chose aimée. Il s’agit de lancer l’enfant dans une aventure passionnante qui le prenne tout entier (le moteur est en lui) sans morceler le tout, comme on le fait dans les écoles. À partir d’un amour, tout peut se bâtir, s’apprendre, se développer, mais rien ne se bâtit de solide ou d’heureux sans lui. Certes l’enfant a besoin à la fois de connaissances et d’encadrement. Mais la discipline vraiment utile et formatrice ne peut venir que d’une passion, d’un amour. Lorsqu’on n’a pas cette passion, c’est alors que tout est réduit à de la discipline et l’enfant devient vite très malheureux. (On parlera de différentes matières à l’étude comme autant de «disciplines »...) Comment, en effet, arrive-t-on à faire de la plus belle aventure une telle corvée d’ennuis?
Apprendre ce qu’on aime tout d’abord
N’y aurait-il pas moyen de commencer par quelque chose que l’on aime passionnément, tout simplement? À travers l’étude d’un instrument musical, par exemple, l’enfant ferait l’apprentissage de règles, de limites, de contraintes; il apprendrait les lois de l’équilibre, les lois acoustiques, les rythmes, les règles de la composition, la rigueur et l’exigence des techniques. Il connaîtrait aussi l’histoire à travers les formes musicales, la relativité des goûts à travers le temps, les conditions sociales inspirant le baroque, le romantique, la musique slave ou le jazz. Il y a moyen de créer autour de ce noyau musical toute une aire de culture et d’éveil, tout une famille de semences qui s’épanouiront jusqu’à la maturité.
Les autres matières peuvent ensuite se grouper autour de cette concentration majeure, autour d’une chose aimée. L’élève évitera ainsi de se perdre dans des connaissances éparses sans aucun lien qui les unissent. Ici, au moins, elles seront reliées et intégrées par un amour.
On pourrait faire la même chose avec l’étude de la mécanique où l’élève sera intéressé à connaître les débuts de la machine et son évolution (par exemple : le bateau à vapeur, le sous-marin, l’auto, l’avion supersonique). Spontanément, il voudra connaître le comportement des énergies, des forces et les lois régissant le mouvement et l’espace. Mais tout cela se ferait tout d’abord à partir d’une connaissance physique, par le contact des sens, et ce n’est qu’après une telle familiarisation que la théorie trouverait sa juste place.
Cet accent porté sur le contact physique avec les choses, par opposition au simple savoir intellectuel, n’empêche nullement que l’on s’engage ensuite dans des études abstraites aux Écoles de Haut-Savoir. Mais c’est sans doute une minorité qui suivra cette voie alors que la plupart s’adonneront plutôt à des explorations concrètes et bien incarnées, ouvrant sur des métiers et des compétences plus artisanales ou artistiques, et davantage associées à la matière ou à la nature physique.
La rationalisation, l’abstraction et l’analyse, les connaissances théoriques, encyclopédiques confiées à une mémoire gonflée à bloc – tout ce fatras conceptuel dont on gave le cerveau des étudiants ne semble pas avoir produit des individus plus créateurs, plus sensibles, plus ouverts à l’inconnu, plus conscients de leur ignorance, des gens plus en contact avec le meilleur d’eux-mêmes, avec la source de leur être. Le culture intellectuelle n’est pas une garantie contre la violence, les abus, les magouilles, l’intolérance et le parti pris. Cela crée simplement plus de moyens de se justifier et prépare d’autres générations d’esprits emprisonnés dans une ignorance pathologique d’eux-mêmes.
On a souvent l’impression qu’au lieu de cultiver le coeur et la sensibilité, les hautes études ont tenté de remplir un gouffre sans fond de narcissisme et d’autosatisfaction. On a créé des esprits et des ego très forts, certes. Mais un ego fort, c’est justement ce qui empêche d’être un humain accompli, ouvert, généreux et vraiment créateur.
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Suggestion de Lecture :
Éduquer avec son Coeur de Placide Gaboury
À propos de l'auteur :
(Bruxelles, Manitoba, le 5 octobre 1928 - ) Poète et essayiste, Placide Gaboury détient un doctorat de l'Université de Montréal en littérature française depuis 1970. Il a collaboré à plusieurs périodiques comme Le Devoir, Commerce, L'Enseignement secondaire, Prospectives et Critères. De 1955 à 1969, il est professeur de lettres au Collège. Il étudie également la direction de chorale à l'Université Harvard et le contrepoint et l'harmonie à l'Université de Montréal de 1959 à 1963. Placide Gaboury a reçu le Prix spiritualité en 1992 pour l'ensemble de son oeuvre. Il est membre de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois.
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Gaia écrit maintenant sur son blog personnel Apprentissage Infini
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